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Justice pénale négociée : une issue prometteuse pour votre société ?

Publié le 11/03/2020
3 minutes

Ces dernières décennies ont été particulièrement marquées par une prise de conscience collective de la criminalité en col blanc. Ces crimes n’apparaissent plus comme étant insignifiants, bien au contraire, ils doivent être véritablement sanctionnés. Une certaine transparence dans la vie des affaires est brandie par les pouvoirs publics pour montrer aux yeux de l’opinion qu’il est désormais nécessaire de prendre à bras-le-corps l’ensemble des problématiques liées à l’éthique des affaires.

Blanchiment d’argent, détournement de fonds, corruption, fraude fiscale, l’arsenal juridique en matière de criminalité financière s’est profondément développé. Depuis 2014, suite à l’affaire Jérôme Cahuzac, qui a marqué le quinquennat de François Hollande et qui est un des symboles d’une époque désormais révolue, l’Etat français s’est doté d’une institution judiciaire propre pour traquer les grands délinquants de la finance.

La sanction pénale n’est pas toujours adaptée pour endiguer certaines formes de délinquance. C’est pourquoi d’autres instruments juridiques plus consensuels ont vu le jour pour lutter plus efficacement contre la criminalité en col blanc ces dernières années. La loi Sapin 2 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique du 9 décembre 2016 a instauré le premier instrument reflétant cette justice transactionnelle : la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Au fil du temps, son champ d’application s’est élargi pour s’appliquer à l’ensemble de la criminalité financière. Récemment encore, la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale du 23 octobre 2018 a élargi la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et la CJIP à la fraude fiscale.

D’une justice répressive, il semblerait que nous soyons passés à une justice transactionnelle ou négociée (I), ce qui peut être une aubaine pour les entreprises (II), notamment en matière de fraude fiscale.

D’une justice répressive à une justice négociée : le modèle de la convention judiciaire d’intérêt public

Suite à la chute du cabinet d’audit Arthur Andersen aux Etats-Unis désigné coupable de corruption en 2002 pour son rôle dans l’affaire Enron, les autorités américaines ont bien compris les conséquences dramatiques qu’une telle condamnation pouvait entraîner. C’est ainsi que les Etats-Unis ont mis en place le « deferred prosecution agreement » afin de sanctionner par une amende l’entreprise coupable de corruption sans aller jusqu’au procès.

Etant donné que le champ d’application territorial de la loi pénale américaine est assez large, de nombreuses entreprises étrangères se voyaient négocier rapidement des « deferred prosecution agreement » pour mettre fin aux poursuites moyennant le paiement d’une amende. De l’autre côté, en France, ces entreprises devaient subir les longues procédures classiques du droit pénal, inefficaces et inadéquates pour lutter contre la corruption. De plus, les sanctions d’une condamnation entraînait notamment une interdiction d’exercer sur les marchés publics alors qu’à travers les « deferred prosecution agreement » les Etats-Unis n’allaient pas jusque-là.

Afin de corriger ces inégalités et afin de lutter plus efficacement contre la corruption, le législateur français a décidé d’adopter un dispositif similaire à travers la CJIP dont le but est de permettre à la France de « retrouver sa souveraineté dans le domaine pénal et que son dispositif répressif ait un caractère réellement dissuasif ».

L’article 41-1-2 du Code de procédure pénale prévoit que la CJIP peut être proposée par le procureur de la République tant que l’action publique n’a pas été actionnée, la CJIP ne peut ainsi pas être soulevée pendant un procès. Le procureur demande, en échange de la levée des poursuites, le versement d’une amende d’intérêt public forfaitaire dont le montant ne peut excéder 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. De plus, le procureur peut demander que l’entreprise se soumette à un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans ou fixer les modalités de la réparation des dommages causés par l’infraction.

Avant l’acceptation de la CJIP, l’entreprise peut demander l’assistance d’un avocat afin de le conseiller dans ses choix, ce qui est très important pour envisager l’issue de la CJIP.

En cas de validation de la convention par le juge, l’ordonnance n’emporte ni reconnaissance des faits, ni déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation. La CJIP n’est pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire (et n’a donc pas d’effet en pratique sur la possibilité de soumissionner aux contrats de la commande publique) mais fait l’objet d’un communiqué de presse du procureur de la République. En outre, l’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention sont publiés sur le site Internet de l’Agence française anticorruption.

Aux termes de l’article précité, l’amende que doit verser l’entreprise est déterminée « de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés ». La circulaire du 31 janvier 2018 précise en outre que le fait que l’amende transactionnelle soit en pratique supérieure au quantum devant une juridiction de jugement est « la contrepartie de l’absence de déclaration de culpabilité et d’inscription au casier judiciaire, [qui] est susceptible d’avoir des conséquences économiques, notamment en termes d’accès aux marchés internationaux, bien supérieures à celle résultant du paiement de l’amende d’intérêt public ». L’idée générale de la fixation du montant de l’amende est que « la commission de la faute ait, au final, coûté à l’entreprise plus cher que ce qu’elle lui a rapporté ».

L’OCDE considère que cette transaction avec la justice est plus efficace pour lutter contre les crimes en col blanc. En effet, la ratification de la convention de l’OCDE sur la corruption internationale n’a pas eu les effets souhaités car aucune entreprise n’avait été condamnée de façon définitive en France pour des faits de corruption. A travers ce dispositif innovant, les autorités publiques évitent un procès long dont l’issue est incertaine et permettent de remplir assurément les caisses de l’Etat par l’obtention de grosses amendes à l’image de Google dont le montant était de 500 millions d’euros en septembre 2019, ou d’Airbus avec une amende de plus de 2 milliards d’euros en janvier 2020 pour des faits de corruption.

La justice pénale négociée : moyen de faire face à la pénalisation du droit fiscal

Avec pour objectif la lutte contre la fraude fiscale, le droit fiscal tend vers une pénalisation accrue. La loi relative à la lutte contre la fraude fiscale du 23 octobre 2018 a supprimé le dispositif du « verrou de Bercy » qui permettait de subordonner les poursuites pénales en matière de fraude fiscale au dépôt d’une plainte préalable de l’administration fiscale. Cette autonomie donnée au parquet national financier a permis d’augmenter sensiblement le nombre de dossiers qui sont désormais passés au crible.

Cette loi a également permis d’utiliser la CJIP pour des faits de fraude fiscale. En juin 2019, le tribunal valide pour la première fois une CJIP pour fraude fiscale dans l’affaire Carmignac en sanctionnant l’entreprise d’une amende d’intérêt public d’un montant de 30 millions d’euros.

Les pouvoirs publics se sont vantés de l’efficacité de ces nouveaux instruments juridiques pour lutter contre la fraude fiscale. Pour preuve de la pénalisation du droit fiscal, Bercy a recouvré près de 9 milliards de recettes issues du contrôle fiscal.

Les CJIP ont confirmé les avantages de cette procédure car l’entreprise évite l’exclusion des marchés publics vu la reconnaissance de culpabilité, la diminution de leurs actions en bourse suite à la médiatisation durable qui suit le déroulement du procès, permet d’avoir une réponse rapide contrairement aux années de procédure en cas de procès pénal.

Il est important de noter que d’après la circulaire du 31 janvier 2018, la CJIP ne pourra être mise en œuvre qu’une seule fois à l’égard d’une entreprise.

De plus, dans l’hypothèse où les négociations de la CJIP n’aboutissent pas, le parquet pourra se fonder sur les documents communiqués par l’entreprise dans la phase de négociation pour prouver la culpabilité de celle-ci. La tâche sera d’autant plus facilitée par le parquet si l’entreprise a reconnu les faits.

Dans la première CJIP, qui avait condamné la banque HSBC pour des faits de blanchiment de fraude fiscale, l’entreprise coupable n’avait pas fait preuve d’une grande coopération ce qui avait conduit le parquet à imposer à la société une peine complémentaire.

L’opportunité de choisir la CJIP en cas de fraude fiscale plutôt que de se lancer dans un procès pénal devra être étudiée par l’entreprise et son avocat afin de déterminer sérieusement l’issue positive des négociations. Cette procédure ne doit pas être envisagée pour des petits montants.

Parallèlement à cette procédure, une attention toute particulière devra être portée sur le dirigeant de l’entreprise suspecte car des éléments l’incriminant peuvent être mis en lumière à travers la CJIP. Peu importe l’issue de la CJIP, si les dirigeants sont mis en cause ils resteront personnellement responsables. Le législateur n’a pas prévu à la CJIP de s’appliquer aux personnes physiques. Toutefois, il pourrait avoir recours à la CRPC qui est considérée comme l’équivalent de la CJIP.
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